« Rendez à César… »
Certaines phrases de l’évangile sont entrées dans notre mémoire collective. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » fait partie de celles-là. Mais cela ne nous empêche pas pour autant de l’interpréter de manière très différente.
Certains vont y trouver les fondations de la séparation entre le spirituel et le temporel, entre le sacré et le profane, entre l’Eglise et l’Etat, entre le domaine laïc et celui du religieux.
En fait, cette opposition stricte est bien peu chrétienne : le Dieu de la Bible a toujours été reconnu à travers son action dans l’histoire des hommes. Dans la première lecture de ce dimanche, le prophète Isaïe nous dit même qu’Il est capable de se servir du roi perse Cyrus le Grand, pourtant étranger à la foi d’Israël, pour accomplir son projet, à son insu.
Et en se liant totalement à cette histoire par l’Incarnation de son Fils, le Dieu des chrétiens a aboli de manière définitive cette séparation que nous essayons sans cesse de reconstruire.
Cette opposition est aussi anachronique : à cette époque l’empereur César faisait l’objet d’un culte, comme celui d’une divinité, et la séparation des pouvoirs n’existait pas encore.
Alors comment comprendre cette maxime dans la bouche de Jésus ?
Dans l’évangile de St Matthieu, les ennemis traditionnels, hérodiens et pharisiens, se sont ligués pour tendre un piège à Jésus : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »
Refuser de payer ce tribut humiliant, au nom de la toute puissance de Dieu, et c’est la menace d’être dénoncé aux romains pour rébellion.
Cautionner cet impôt, et c’est renier le Dieu d’Israël en se situant résolument comme collaborateur de l’occupant.
Jésus ne se laisse pas enfermer dans ce piège en invitant à la fois à ne pas négliger son devoir de citoyen en respectant le pouvoir en place dont la pièce porte l’image, mais sans oublier que, étant aussi “image de Dieu“, chacun est appelé à devenir citoyen du ciel, avec une autre Loi qui régit ce Royaume.
Combien de fois, au cours de son histoire, l’Eglise ne s’est-elle pas trouvée dans cette alternative “pour ou contre“ les pouvoirs en place avec ses lois parfois injustes ; obligée de se compromettre avec les puissants ou de choisir une parole et des actions prophétiques, avec le risque d’être souvent mal comprise.
En ce dimanche des missions, nous sommes invités à nous interroger sur notre manière d’être présents comme chrétien au milieu de notre société. Rendre à César ce qui est à César, mais sans sacraliser ce pouvoir humain, et en n’oubliant pas non plus de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ; nous savons combien, dans toutes les questions importantes qui agitent aujourd’hui nos sociétés, cela nous oblige à beaucoup de discernement.
P. Luc de Saint Basile
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