“Tu as été fidèle pour peu de choses,
je t’en confierai beaucoup.“
Nous méditons aujourd’hui la parabole des talents, sans doute l’une des plus connues, alors que nous nous approchons de la fin de notre année liturgique : dimanche prochain en effet, nous fêterons le Christ Roi de l’univers.
Nous le savons, c’est une histoire particulièrement dérangeante. Et c’est aussi ce dimanche particulier que notre pape a voulu dédier chaque année aux pauvres (avec la quête traditionnelle pour le Secours Catholique), ce qui lui donne en plus une connotation toute particulière.
Un premier danger serait de prendre le mot “talent“ au premier degré. Bien-sûr en français, un talent c’est un don reçu à la naissance : on parle du talent d’un artiste, de tel ou tel comédien, grand pianiste ou peintre, d’un talent pour comprendre les mathématiques, pour bien parler, etc…
Un autre écueil consisterait aussi à ne réduire le mot talent qu’à sa dimension pécuniaire. Il est vrai qu’un talent représentait à cette époque une somme très importante puisqu’il équivalait environ 6000 deniers ; or, un denier représentait l’équivalent d’une journée de travail pour un ouvrier.
Dans ces deux acceptions, on serait redevable de toutes les richesses ou talents dont nous avons hérité et qu’il faudrait faire fructifier pendant sa vie sur terre. Mais c’est sans doute une interprétation un peu moralisatrice et réductrice de cette parabole.
Cette parabole étant placée résolument dans le contexte de l’annonce de la fin des temps, il est clair que ces talents sont beaucoup plus vastes que ces qualités naturelles que chacun porte en lui-même ou du patrimoine reçu qu’il a mission de faire fructifier. D’ailleurs, malgré l’importance de la somme confiée, le maître qualifie cela de “peu de choses“. Il s’agit en fait du don que Dieu fait à l’Homme dès la création du monde, de son amour et de sa confiance donnée gratuitement à chacun. On remarque dans ce sens que la parabole ne dit pas que le Maître va reprendre ce qu’il a confié, cela reste un cadeau, un don sans retour ; il demande juste à chacun de rendre compte de ce qu’il en a fait.
On pourrait aussi être choqué du partage inégal. Pourquoi l’un reçoit cinq talents et l’autre un seul ? En fait, on le constate tous les jours, les dons reçus sont différents : il a des enfants qui, dès leur naissance, vont être entourés d’amour et d’autres moins, et même, mystérieusement, la foi elle-même sera transmise à certains et pas à d’autres.
La petite Thérèse de Lisieux s’expliquera ces différences en prenant la comparaison des verres d’eau : elle disait que nous avons tous des verres de tailles différentes et que, même si Dieu ne verse pas la même quantité dans chaque verre, ils sont tous remplis à moitié ; et c’est à chacun de compléter la quantité qui manque pour qu’ils soient pleins, ceux qui ont un plus grand verre et qui ont plus reçus devant ajouter plus d’eau que les autres pour le remplir. L’important n’est donc pas de se comparer mais de se dépasser.
Mais la pointe de la parabole est d’abord à chercher dans l’attitude du troisième personnage.
Les deux premiers serviteurs sont fiers de présenter au Maître le résultat de leur travail fruit de la confiance placée en eux, mais le troisième serviteur rend le talent qu’il a enfoui parce qu’il se défie de son maître. Il le voit comme un homme dur qui moissonne là où il n’a pas semé. C’est un signe qu’il refuse cette relation de confiance que le Maître a voulu établir avec lui, qu’il refuse ce don, et veut simplement être quitte avec son Maître.
La même Thérèse de Lisieux disait que Dieu se comporte avec nous selon l’image que nous nous faisons de lui : « Vous croyez en un maître dur ? Eh bien vous aurez affaire à un maître dur » … C’est bien ce qui arrive dans la parabole.
L’obstacle se trouve donc bien du côté de l’homme : c’est lui qui se ferme à l’amour, à cet amour dont il refuse la proposition en se défiant de Celui qui lui avait fait confiance le premier. En enterrant le talent, c’est la relation de confiance que le troisième serviteur a enterrée.
Le jugement du maître reprend alors mot à mot la vision de son serviteur pour le juger lui-même. Et ce qu’il possédait de plus précieux, cette confiance qu’il avait reçue de son maître, il l’a perdu pour qu’elle soit remise à un autre qui pourra la faire fructifier. Il aurait pu se retrouver riche et il a tout perdu, et d’abord ce qui est le plus important, la confiance qui lui avait été faite.
Lire cette parabole en cette journée que notre pape a consacrée aux pauvres nous invite aussi à en tirer une interprétation toute particulière.
Même si les dons fait à chacun ne sont pas équitables au début, il est important de reconnaître que nous avons tous reçu au moins un talent à faire fructifier. Saurons-nous le reconnaître dans ceux qui nous entourent, même les plus pauvres ? Et comment permettrons-nous à chacun de faire fructifier son propre talent ?
Père Luc de Saint-Basile
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