Aujourd’hui, grand silence sur la terre
(méditation du P. Gilles Drouin, prêtre du diocèse d’Evry
et directeur de l’Institut Supérieur de Liturgie
de l’Institut catholique de Paris)
Aujourd’hui grand silence sur la terre. Silence dans les rues de nos villes, silence sur les places de nos villages, silence sous les préaux de nos écoles, silence dans les allées de nos cimetières, à peine troublé par l’ombre d’un cortège famélique. […]
Pour les croyants que nous essayons d’être, le samedi saint peut être une ressource spirituelle en ces temps de silence. Car le samedi saint n’est pas un entre deux, une sorte de blanc entre l’intensité dramatique du vendredi saint et le retour de la joie dans la nuit de Pâques. Le samedi saint n’est pas une parenthèse, tellement vide qu’on n’y célèbre pas l’eucharistie, « Dieu est mort », pas plus que le vendredi saint ne serait l’anniversaire de la mort de Jésus et Pâques celui de sa résurrection. La liturgie ne fonctionne pas ainsi, elle ne saucissonne pas le Mystère. […]
Ce samedi qu’Epiphane qualifie de grand et de saint, d’où contemplons-nous le Mystère ? Si on suit Epiphane, c’est du plus profond des enfers, ces enfers qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’enfer, celui des diables lubriques et des joyeuses fournaises des tympans de nos cathédrales, qu’il nous est donné de le contempler. Ou d’accompagner le Nouvel Adam qui s’avance vers Adam et Eve captifs, « muni de sa croix, l’arme de sa victoire » pour les délivrer.
Le dialogue est inoubliable. Adam : Mon Seigneur avec nous tous ! Le Christ : Et avec ton esprit. Puis, le prenant par la main, il le relève en disant : « Eveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ! » C’est là, au plus profond des enfers que le jeune Adam vient rencontrer son vieil ancêtre. Pour l’arracher à la ténèbre et l’entrainer avec lui, et tous ses descendants avec lui, dans son corps de lumière et de vie. De haut en bas, puis de bas, du plus bas au plus haut, comme quand on plonge un nouveau-né dans la piscine baptismale pour l’en arracher, ruisselant de vie nouvelle !
Que se passe-t-il ? Aujourd’hui grand silence sur la terre.
Ce qui se passe est caché mais en même temps décisif, c’est l’œuvre souterraine, fondamentale, radicale du salut. Le seul combat qui compte, la seule victoire qui vaille, et que le Christ remporte, tout en bas, dans le silence.
Que se passe-t-il ? Ces jours sont des jours de grand silence sur la terre. Il est possible que le grand et saint samedi nous aide à les vivre comme il se doit, en profondeur, y compris dans l’absence, douloureuse du rassemblement eucharistique.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. Le grand et saint samedi nous apprend à goûter, dans le creux de son absence, à une présence qui pour être cachée n’en est pas moins réelle et radicale, à la racine. […]
Vivre, dans l’intériorité et la charité ce long samedi jusqu’au jour dont la venue est aussi certaine et lumineuse qu’une belle aurore pascale, jusqu’au jour d’étreintes peut-être plus humaines que le jour d’avant, jusqu’au jour d’assemblées véritablement eucharistiques où, peut-être, nous ferons un peu moins semblant de faire corps, jusqu’au jour où le printemps sera, enfin, débarrassé de quelques-uns de ses miasmes qui nous empoisonnent la vie, depuis beaucoup plus longtemps que cette saleté de virus !
Leave a Comment